Face à l’actualité, gardons notre esprit scientifique !
La semaine dernière Le Point et France Info publiaient 2 articles évoquant le suicide de plusieurs adolescents en lien avec la prise d’un traitement antidépresseur. Suite aux interrogations légitimes des patients et à la lecture de ces articles, une mise au point s’impose.
Que nous apprennent ces articles ?
Peu de choses. Clairement à charge, ces deux articles partent d’un drame humain et font ensuite le lien avec la mauvaise prescription des antidépresseurs, leur dangerosité, l’amateurisme des prescripteurs et pour finir la dissimulation de ces risques par les laboratoires pharmaceutiques. Ils ont néanmoins un mérite : nous questionner en tant que professionnel et prescripteur sur ce fameux « risque ».
Alors qu’en est-il vraiment ?
Plusieurs méta-analyses (1-4)ont mis en évidence une association entre prescription d’un antidépresseur et suicidalité accru chez les enfants et adolescents. Le terme suicidalité est source de confusion, il regroupe les pensées et passage à l’acte suicidaire, il ne comprend pas les suicides achevés. Cela a conduit à une mise en garde de la part des autorités sanitaires, FDA, Agence Britannique et Européenne de régulation des médicaments depuis 2003.
Cependant ce risque est faible et les méta analyses (2) retrouvent un taux absolu chez les participants traités par antidépresseurs de 2% contre 1% chez les patients recevant un placebo, donnant un nombre nécessaire pour nuire (NNN) de 112. Aucun lien n’a été établi entre l’usage d’antidépresseurs et les suicides achevés.
La dépression non traitée est la problématique principale augmentant le risque de suicide. Suite aux avertissements de 2003 sur les antidépresseurs chez les jeunes, leur utilisation a baissé, entraînant une hausse de la dépression non traitée et des taux de suicide (5,6).
Le bénéfice des antidépresseurs ISRS dans la dépression modérée à sévère est démontré chez les enfants et adolescent, principalement pour la fluoxétine, avec un nombre nécessaire pour traiter (NNT) variant de 4 à 10 selon les études (5,7-9).
Les avantages des antidépresseurs, notamment la fluoxétine, l’emportent donc sur les risques d’effets indésirables graves (majoration des idées suicidaire et du risque de passage à l’acte) dans la dépression modérée à sévère chez l’enfant et l’adolescent.
Que retenir pour ma pratique
- La dépression de l’enfant et l’adolescent est sous diagnostiquée et sous traitée de part ses signes atypiques (repli, opposition, irritabilité) pouvant être attribué à tort à l’immaturité ou à l’adolescence.
- En cas de suspicion pratiquer une démarche diagnostique similaire à celle que vous mettriez en place pour un adulte, en impliquant les parents
En soins primaires, devant la dépression de l’enfant (à partir de 8 ans) et de l’adolescent :
- La psychothérapie reste le traitement de première intention
- Le traitement antidépresseur est utilisable en seconde intention après échec de 4 à 6 séances de psychothérapie ou en première intention dans les formes sévères
- N’hésitez pas à prescrire si nécessaire les bénéfices dépassent nettement les risques.
- Informez (balance bénéfice/risque) et impliquez le patient et ses parents dans les soins
- Seule la Fluoxetine à l’AMM en France à partir de 8 ans dans la dépression modérée à sévère : commencée à la dose de 10 mg par jour, elle peut être augmentée après une semaine à la dose thérapeutique minimale de 20 mg par jour.
- La surveillance des effets indésirable (EI) doit être hebdomadaire dans les 4 premières semaines (EI classiques des ISRS et présence ou majoration d’idées suicidaires).
- L’efficacité est réévaluée à 4 semaines et la dose doit être majoré en cas de non réponse ou de réponse partielle au traitement, avec des paliers de 20mg toutes les 4 semaines jusqu’à une dose maximale de 60mg/j en maintenant une surveillance hebdomadaire lors des changements de dose.
Vous rencontrez ce genre de situation et vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement de vos prises en charge chez les enfants et les adolescents ? Mg&Psy37 est à votre disposition !
AVIS
Besoin d’un avis psychiatrique/pédopsychiatrique ou Addictologique (Enfant, adolescent et adulte)
- Connectez-vous sur OMNIDOC : CHRU de Tours => MG et Psy 37 => Avis Psychiatrique
- Ou par mail avispsy.agglo@chu-tours.mssante.fr avec les coordonnées du patient et votre question clinique.
PSYCHOTHERAPIE
Besoin d’une prise en charge pour vos patients souffrant de dépression ou d’insomnie (Adultes)
- Connectez-vous sur OMNIDOC : CHRU de Tours => MG et Psy 37 => Orientations vers les groupes TCC)
- Ou par mail à liaison.mg.psy@chu-tours.mssante.fr avec les coordonnées du patient et son numéro de sécurité sociale.
REUNION PLURI PRO
Besoin d’un temps d’échange sur vos pratiques, sur une situation ou une problématique clinique pour les médecins et IDE Asalée, les maisons de santé Pluriprofessionnelles et les Equipes de Soins Primaires
- Adressez-nous un mail à avispsy.agglo@chu-tours.mssante.fr
- Un psychiatre de Médecine Générale et Psychiatrie 37 organisera un temps d’échange avec vous et votre équipe en distanciel ou en présentiel
Bien confraternellement.
Dr Pierre Yves SARRON, Dr Alice PERRAIN & toute l’équipe de MGPsy37
Pour rappel :
On y détaillera les points clés du diagnostic et des conseils pratiques pour une prescription et un suivi « facile » des thymorégulateurs les plus courants en soins primaires.
Bibliographie:
- Hetrick SE, et al. Newer generation antidepressants for depressive disorders in children and adolescents. Cochrane Database of Systematic Reviews 2012; 11:CD004851. DOI: 10.1002/14651858.CD004851.pub3.
- Bridge JA, et al. Clinical response and risk for reported suicidal ideation and suicide attempts in pediatric antidepressant treatment: a meta-analysis of randomized controlled trials. JAMA 2007; 297:1683–1696. DOI: 10.1001/jama.297.15.1683.
- Cipriani A, et al. Comparative efficacy and tolerability of antidepressants for major depressive disorder in children and adolescents: a network meta-analysis. Lancet 2016; 388:881–890. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)30385-3.
- Zhou X, et al. Comparative efficacy and acceptability of antidepressants, psychotherapies, and their combination for acute treatment of children and adolescents with depressive disorder: a systematic review and network meta-analysis. Lancet Psychiatry 2020; 7:581–601. DOI: 10.1016/S2215-0366(20)30137-1.
- Gibbons RD, et al. Early evidence on the effects of regulators’ suicidality warnings on SSRI prescriptions and suicide in children and adolescents. American Journal of Psychiatry 2007; 164:1356–1363. DOI: 10.1176/ajp.2007.164.9.1356.
- Libby AM, et al. Decline in treatment of pediatric depression after FDA advisory on risk of suicidality with SSRIs. American Journal of Psychiatry 2007; 164:884–891. DOI: 10.1176/ajp.2007.164.6.884.
- March J, et al. Fluoxetine, cognitive behavioral therapy, and their combination for adolescents with depression: Treatment for Adolescents with Depression Study (TADS) randomized controlled trial. JAMA 2004; 292:807–820. DOI: 10.1001/jama.292.7.807.
- Brent D, et al. Switching to another SSRI or to venlafaxine with or without cognitive behavioral therapy for adolescents with SSRI-resistant depression: the TORDIA Randomized Controlled Trial. JAMA 2008; 299:901–913. DOI: 10.1001/jama.299.8.901.
- Goodyer I, et al. Selective Serotonin Reuptake Inhibitors (SSRIs) and routine specialist care with and without cognitive behaviour therapy in adolescents with major depression: randomised controlled trial. BMJ 2007; 335:142. DOI: 10.1136/bmj.39224.494340.55.